Conférence d’Ahmed Bedjaoui sur le thème "Une guerre des images" - Vendredi 18 novembre 2022 à 19h

Dans le cadre de la célébration du 60e anniversaire de l’Indépendance

Avec la participation de l’historien Olivier Hadouchi  

Une guerre des images

Dès l’avènement du cinématographe, l’Algérie s’est illustrée comme un terrain de chasse pour les premiers cameramen, mais elle n’était présente qu’à travers sa lumière et sans la présence des Algériens. L’apparition des premiers films réalisés par des Algériens a précédé de peu le début de la lutte armée. Pour sa part et pour tenter de frapper les consciences des populations indigènes isolées, le gouvernement général a vite fait du cinéma une arme de propagande au service de l’action psychologique.

De leur côté, les dirigeants du Front de Libération (FLN) ont rapidement pris conscience de l’importance de l’image dans la bataille médiatique qui s’organisait en dehors des champs de la bataille militaire. L’ALN puis le GPRA ont créé des services cinématographiques autour de Djamel Chanderli, rapidement suivi par d’autres Algériens et par des cinéastes étrangers sympathisants de notre cause. Dès 1956, la plate-forme de la vallée de la Soummam avait mis (grâce surtout au travail de Abane Ramdane) l’accent sur la nécessité d’utiliser systématiquement les documents iconographiques et audiovisuels pour appuyer un combat qui allait progressivement se porter en priorité sur le terrain politique. Avec la réussite qu’on sait.

Les images collectées par les photographes et les cameramen algériens, comme Djamel Chanderli ou sympathisants comme René Vautier, qui ont rejoint le FLN à Tunis ne visaient qu’un but : attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur la lutte légitime du peuple algérien et de sa mobilisation derrière le FLN. Une génération exceptionnellement douée de politiques a joué un rôle important dans cette collecte et dans l’encadrement des cinéastes.  Il s’agissait avant tout de soutenir les efforts d’une diplomatie de guerre, destinée à sensibiliser les opinions publiques des pays, alliés le plus souvent à la France, en fournissant des images chocs aux Journaux télévisés, notamment ceux des grandes chaînes anglo-saxonnes, à une époque où la télévision devenait le médium dominant. Le point culminant fut atteint grâce à M’hamed Yazid et à Abdelkader Chanderli avec la présentation en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, de deux films algériens destinés à préparer les diplomates à reconnaître le droit des Algériens à l’autodétermination. Yasmina a fait pleurer et Les fusils de la liberté a montré la détermination de tout un peuple aligné derrière le FLN/ALN.

Jusqu’à quel point le film algérien (secteurs cinématographique et télévisuel confondus) a représenté la guerre de libération ? Nous aborderons également les sources de l’histoire pour mieux mesurer la capacité du film algérien à expliquer tant à travers du documentaire que de la fiction, les origines de ce grand mouvement nationaliste qui, en enrôlant l’immense majorité du peuple algérien, a fait de son combat un exemple rare dans l’histoire de l’humanité.

Cette guerre des images a opposé la propagande française (rigide mais dotée de moyens colossaux) à une équipe d’hommes et de femmes qui ont fait de l’internationalisation du conflit le vrai champ de bataille sur lequel la victoire politique devait se jouer. Contrairement à certaines idées reçues, le cinéma français a produit un volume important d’images sur la guerre d’Algérie. Mais l’essentiel n’est pas dans le combien, mais dans le comment et le pourquoi. La censure implacable qui sévissait en France à l’époque n’a pas permis aux cinéastes (eux-mêmes tétanisés par l’autocensure) de s’exprimer contre la guerre coloniale. Beaucoup de des films algériens ont traité de la guerre de libération, mais il reste tant à raconter. Soixante-dix ans après l’Indépendance de notre pays, il est important de passer la parole aux jeunes pour recueillir leur perception d’une guerre qui a tant marqué leurs parents et leurs grands-parents.

A travers cette conférence, Ahmed Bedajoui propose une vision de la manière dont les images, et particulièrement les productions audiovisuelles, ont rendu compte de la guerre pour l’indépendance. Le sujet dans son ensemble est vaste et encore largement ouvert à la recherche. En fin de compte, le cinéma ne peut que se dresser comme témoin oculaire, la responsabilité de l’écriture de l’Histoire revenant aux historiens.